LA CATARACTE

Historique
Avant le XXème
La cataracte est une affection connue depuis des millénaires. C’est l’opacification totale ou partielle du cristallin. Elle est déjà citée dans des civilisations anciennes comme celles des Égyptiens ou des Akkadiens.
En savoir plus
Le code d’Hamourabi ou Hammurabi (1), stèle de basalte de 2m25 de haut, visible au Louvre dans le département des antiquités orientales, porte gravé, un certain nombre de lois qui régissaient la vie quotidienne du royaume de Babylone il y a plus de 4000 ans. Les articles 215 à 220 de ce code, décrivaient les honoraires d’un chirurgien qui opère l’œil, selon le statut de l’individu opéré et la peine encourue si il ratait son intervention (il aurait la main coupée!). Bien que le terme de nakaptu utilisé dans ce code porte à controverse, l'opération de la cataracte était donc déjà réalisée à cette époque.
Selon le Syndicat National des Ophtalmologistes de France (2), il n’y a pas de doute ce texte parle bien de cataracte, et ce dernier s’appuie sur le texte d’une tablette  datant de la même époque « Si d'un homme l'œil droit ou gauche est recouvert d'une ombre, avec le bistouri.. »

En 1583, le médecin allemand Georg Bartisch (1535-1607), père de l’ophtalmologie moderne, publie un traité d’ophtalmologie «ophtalmodouliea » (3) où il décrit précisément l’opération de la cataracte par abaissement à l’aide d’une aiguille. Cette technique par abaissement, qui consiste à faire basculer le cristallin dans le vitré va perdurer longtemps (et ce pratique encore aujourd'hui dans certains pays), même s'il semblerait que l'extraction du cristallin est été déjà pratiquée depuis longtemps dans d'autres contrées (Abū al-Qāsim Khalaf ibn Abbās al-Zahrāwī (940-1013).

C'est en 1752 que le Dr Daviel propose lors d’une conférence à l’académie de médecine, l’extraction du cristallin par une large incision courbe sur environ 180° avec tous les inconvénients que l’on peut imaginer ; infections, hernie de l’iris... Prémices de l’extraction intra-capsulaire.
Ainsi, l'abaissement et l'extraction du cristallin vont s’opposer en France jusqu'au milieu du 19ème siècle.

Plusieurs chirurgiens vont progressivement tenter d’améliorer la méthode de Daviel. Le Dr Jaeger proposa une incision de l’hémicornée supérieure, le Dr Mooren conseilla de faire une iridectomie et le Dr Von Gräfe une incision linéaire.
En 1836, Pierre François NOIRET cite dans sa thèse de médecine (5) quatre méthodes pour opérer la cataracte : « l’abaissement, l’extraction, la kératonyxis et la méthode mixte ». Il se garde de trancher pour l’une ou l’autre méthode mais il précise le rôle important de l'aide opératoire: « un aide intelligent et bien au fait de l’opération se place derrière le malade, et lui tient la tête renversée contre la poitrine d’une main qu’il place sous le menton, tandis qu’avec l’autre il relève la paupière supérieure, en évitant de comprimer le globe oculaire. On pourrait aussi tenir la paupière relevée à l’aide d’ophtalmostats [...] mais il est bien préférable de se servir du doigt d’un aide intelligent[...] »
Depuis le XXème
Progressivement l’idée de retirer le cristallin va s’imposer. Mais au début cette ablation se fait à l’aide de pinces, qui peuvent laisser des fragments, léser d’autres structures et n'est pas compensée par un implant.
En savoir plus
Le Pr Ignacio Barraquer va révolutionner l'extraction du cristallin en créant des instruments pour permettre l'ablation douce et précise du cristallin. Il va mettre au point des micro-instruments pour aspirer le cristallin au lieu de le tenir, et introduire le microscope dans la chirurgie de la cataracte. Il va ainsi mettre au point la « phakoerysis », extraction intra capsulaire réalisée a l’aide d’un erisiphake, sorte de micro aspiration réglable. Cette technique sera employée jusque dans les années 1960. Elle sera améliorée par son fils, le Pr Joachim Barraquer, grâce à la découverte de l’α-chymotrypsine, permettant de libérer le cristallin des fibres zonulaires qui le maintiennent.

Parallèlement à ces avancées sur la technique d’extraction du cristallin, l’implantation d’un matériel dans l’œil pour remplacer le cristallin apparaît en 1949. Sir Harold Ridley observe que les pilotes de RAF durant la seconde guerre mondiale, ne développent pas de réactions inflammatoires sur les éclats intra oculaire de plexiglas de leur cockpit. Il  dessine un implant en PMMA (polymethylmethacrylate) et le 29 Novembre 1949, assisté de son infirmière, Madame Doreen Clark Ogg, il implante au St Thomas Hospital de Londres, le premier implant intra oculaire . Il publiera ses résultats en 1952 (6) .

Dans les années 1970, Le Dr Charles D. Kelman (7) va mettre au point la technique actuelle, la phaco émulsification. Elle  permet grâce à des ultrasons de fragmenter le cristallin.
Au cours des décennies suivantes, la technique de phaco emulsification va s'améliorer. De nouveaux matériaux inertes sont découverts pour fabriquer les implants qui  deviennent pliables, ce qui va permettre de réduire la taille des incisions et donc les risques infectieux, le temps d’hospitalisation des patients, et d’accélérer la récupération post opératoire, permettant aujourd’hui l’intervention en chirurgie ambulatoire.
Faits économiques & sociaux
Monde
D’après l’OMS la cataracte est la première cause de cécité dans le monde (48%). Elle représentait environ 18 millions de cas par an en 2002 (dernières données consolidées). La population vieillissant, ces chiffres sont en augmentation constante. Bien que la cataracte puisse être enlevée chirurgicalement, dans beaucoup de pays, les services chirurgicaux ne sont pas adaptés.


France
D’après l’assurance maladie, en 2006 près de 560 000 cataractes ont été opérées en France pour un coût global de plus de 850 millions d’euros :
« La chirurgie de la cataracte est l’acte chirurgical le plus fréquent en France ; en 2006, 557 378 séjours pour intervention de la cataracte ont été réalisés dans les établissements hospitaliers, ce qui correspond à 908 interventions pour 100 000 habitants. Dans l’étude comparative réalisée en 2004 par l’OCDE, la France est dans la moyenne par rapport aux autres pays avec un nombre d’interventions de 752 pour 100 000 habitants. Elle est loin derrière la Belgique (1 600), proche des Pays Bas, de la Hongrie et de l’Italie, mais devant la Suisse (427) et le Portugal (287) ».
En 2014, la chirurgie de la cataracte restait l’acte chirurgical le plus fréquent en France avec 700 000 interventions pratiquées.

Définition et aspects cliniques
La cataracte est définie comme la perte de transparence du cristallin. Tout ou une partie du cristallin peut s’opacifier. Elle est généralement bilatérale et asymétrique mais peut aussi être unilatérale.
La plupart des cataractes sont liées au vieillissement. Mais d'autres causes existent: traumatismes, modifications liées à la prise de médicaments, problèmes de développement oculaire, etc. …
Les facteurs de risque de vieillissement précoce du cristallin sont eux aussi multiples. Le tabagisme, l’exposition prolongée aux UV et le diabète sont d’autres causes potentielles d’opacification du cristallin.
La cataracte, du fait de la perte de transparence du cristallin, se traduit par une diminution progressive de l’acuité visuelle, plus ou moins marquée selon le type de cataracte. De ce fait, le contraste de l’image rétinienne est sensiblement diminué. La plupart des patients atteints de cataracte se plaignent également d’éblouissement et de halos dus à la diffusion intraoculaire de la lumière. La cataracte peut également entraîner une vision double ou déformée et altérer la vision des couleurs.
En savoir plus
Il existe plusieurs types de cataractes qui se différencient par leur localisation et leur couleur. La figure suivante présente les cataractes nucléaire, corticale et sous-capsulaire postérieure.

La cataracte nucléaire est une opacification ou coloration du noyau du cristallin qui interfère avec la fonction visuelle. Ce type de cataracte est le plus répandu. Elle caractérise les cataractes « séniles », touchant les plus de 60 ans. Les cataractes nucléaires sont généralement bilatérales et asymétriques. La cataracte nucléaire progresse lentement et affecte davantage la vision de loin. Elle induit de la myopie ou réduit l’hypermétropie (myopie d’indice). Dans les cas avancés, le cristallin devient brun et opaque.

Dans le cas de la cataracte corticale, le cristallin présente des opacités au niveau du cortex, c'est-à-dire dans les couches profondes du cristallin. Lorsque l'ensemble du cortex devient blanc et opaque, la cataracte est dite mature. Le plus souvent asymptomatique, cette cataracte devient symptomatique lorsqu’elle touche l’axe visuel ou la totalité du cortex.
Enfin, la cataracte sous-capsulaire se caractérise par des opacités proches de la capsule du cristallin. Lorsque les opacités se localisent derrière la capsule antérieure, il s’agit d’une cataracte sous-capsulaire antérieure. Si les opacités sont situées au niveau de la capsule postérieure, il s’agit d’une cataracte sous-capsulaire postérieure. Ce type de cataracte entraîne une sensation de voile permanent, plus marqué en myosis. La vision est fortement pénalisée car les opacités se situent le plus souvent dans l’axe pupillaire. Elle entraine généralement une gêne en vision de loin et de près.

Les différents types de cataracte peuvent se combiner. La cataracte cortico-nucléaire présente des opacités qui touchent à la fois le noyau et le cortex. L’opacification est croissante de la périphérie vers le centre du cristallin. C’est une forme fréquente de cataracte sénile.
Diagnostic
Le diagnostic est le plus souvent simple et clinique. Le chirurgien s’attardera à rechercher une autre cause associée à la cataracte pouvant faire baisser la vue et l’absence de cornée trop fragile. Les examens paracliniques ont pour but de calculer la puissance de l’implant utilisé dans la chirurgie en mesurant la longueur axiale de l’oeil et le pouvoir réfractif de la cornée.
Étapes chirurgicales
Incision
Une fois le patient correctement préparé et installé, le chirurgien peut réaliser une incision principale de 2 à 3 mm et une contre-incision de moins de 1mm lui permettant de passer les instruments.

En savoir plus
Correctement préparé et installé:
- Décubitus dorsal strict, tête à plat
- Anesthésie (anesthésie topique la plupart du temps)
- Désinfection de la peau et des culs de sac conjonctivaux à la bétadine.
- Champ opératoire sur le visage ne laissant voir que l’oeil opéré.
- Blépharostat  mis en place.
-Mise en place du microscope opératoire
Capsulorhexis
Le capsulorhexis est un temps fondamental de la chirurgie. Il s’agit de réaliser une ouverture la plus ronde et centrée possible au niveau de la face antérieure du cristallin, afin de pouvoir retirer ce dernier par cet orifice. 
En savoir plus
Pour le réaliser il est nécessaire de maintenir une pression constante dans l’oeil, raison pour laquelle le chirurgien injecte une solution viscoelastique dispersive (ex: Viscoat®) dans l’oeil. Une fois réalisé, il est nécessaire de décoller les adhérences qu’il peut y avoir entre le cristallin et son enveloppe: une injection d’eau dans cet espace est réalisée. il s’agit de l’hydrodissection.

Phacoemulsification du cristallin
La phaco émulsification consiste à fragmenter le noyau du cristallin en plusieurs morceaux à l’aide d’ultrasons. De nombreuses variantes de fragmentation existent.

En savoir plus
En effet, le cristallin étant plus gros que la taille du capsulorhexis, le chirurgien va devoir fragmenter le cristallin en plusieurs morceaux pour l’extraire, c’est la phaco-émulsification
Type d'implant et implantation
Ils peuvent être MONOFOCAUX (c’est à dire corriger qu’un seul défaut visuel), MULTIFOCAUX (corrige la vision de près et de loin) et TORIQUES (corrige en plus l’astigmatisme)
En savoir plus
Aujourd’hui les implants sont en acrylique, souples, hydrophobes ou hydrophiles. Ils se distinguent essentiellement par leur forme (navette ou à anse rapportées) et leur mode de fixation (dans le sac capsulaire, fixation irienne, suturé à la sclère…).
Les implants se glissent par une incision de 2 à 3mm. Il faut donc les plier pour les injecter. Ils sont ainsi soit directement pré-chargés par le constructeur, soit pliés par le chirurgien, puis injectés dans l’œil.
Lavage et hydrosuture
Une fois l’implant dans l’oeil, le chirurgien va retirer les produits visco-élastiques cohésifs (ex: Healon®) à l’aide de la sonde d’irrigation aspiration, puis réaliser une suture à l’eau des berges. En effet, l’architecture de l’incision en deux ou trois plans permet la plupart du temps d’obtenir une incision étanche sans point de suture grâce à la réalisation d’un œdème des berges de l’incision qui vient collaber cette dernière.
Antibioprophylaxie
Depuis 2015, il est recommandé d’utiliser une antibioprophylaxie systématique intra camérulaire (ie. une injection dans la chambre antérieure) de céphalosporine de 3ème génération.
Post-opératoire
Les patients récupèrent très rapidement leur vision (dès le lendemain, il y a une amélioration significative). Ils doivent mettre des collyres antibiotiques et anti-inflammatoires. Les complications lors de la chirurgie de la cataracte existent mais elles sont rares. La principale reste l’endophtalmie qui touche en moyenne 1 patient sur 3000. Sa prise en charge est une urgence médico-chirurgicale.
DANS LE FUTUR...
La chirurgie de la cataracte au laser femtosecond, est une technique novatrice, en cours de développement dans des centres ultra spécialisés pouvant acquérir ce laser très onéreux. Le passage de la chirurgie conventionnelle vers le laser représente un coût de santé publique énorme en cours d’évaluation par les autorités sanitaires. Il s’agit peut être du futur de la chirurgie de la cataracte.
La possibilité d'implanter un néo cristallin à partir de cellules souches est également un piste d'avenir. L’équipe du Dr Lin a  récemment rapporté la correction de l’aphakie par un neo-cristallin provenant cellules souches présentes en périphérie (10) chez 12 très jeunes enfants.

Bibliographie

1. M. E. J. Richardson Hammurabi's Laws: Text, Translation and Glossary, 2004
2. http://www.snof.org/encyclopedie/du-temps-de-sumer
3. https://archive.org/details/ophthalmodouleia00bart
4. Pallucci, Natalis Giuseppe. « Méthode d'abbattre la cataracte, dédiée à Madame la Princesse de Conty » 1750
5. Pierre François NOIRET : « Dissertation sur la cataracte, suivie de quelques propositions sur la médecine, la chirurgie et les accouchemens » thèse soutenue le 26 aout 1836
6. Harold Ridley, “intra ocular acrylic lenses, a recent development in the surgery of cataract”, Brit. J. Ophtal 1952 36 113
7. Kelman CD “Phaco-emulsification and aspiration—a new technique of cataract removal: a preliminary report”. Am J Ophthalmol 1967;6423- 35
8. http://www.who.int/blindness/data_maps/cataract_surgery_rate/fr/
9. « La chirurgie de la cataracte en France »– L’Assurance Maladie - 11 09 2008
10. H. Lin et coll. “Lens regeneration using endogenous stem cells with gain of visual function”. Nature 531, 323–328 (17 March 2016)